Villers-Outréaux... un village presque comme les autres
Patrimoine textile
Un petit peu d'histoire
L'Art de la Broderie date de toute antiquité et semble avoir pris naissance dans les régions asiatiques, mais il est très difficile d’en fixer exactement la date. Les Egyptiens ont connu la broderie à l’aiguille comme celle au métier. On en trouve la preuve dans les fragments retrouvés dans des sépultures très anciennes.
Le luxe de la broderie se répandit en France au moment des croisades, époque où l’on commença de copier les « aumonières sarrasinoises » et les broderies d’Asie mineure et de l'Inde, pays qui ont gardé, encore de nos jours, la supériorité dans cet art.
Dès le quatorzième siècle, tous les procédés de broderies étaient en usage en France et l’on garde, de cette époque, des œuvres qui comptent parmi les plus belles du genre. Cet art suit une période ascendante jusqu’au seizième siècle, puis 1l tombe dans un exeès de précieux qui le pousse à imiter la tapisserie aulien de se tenir sur le terrain décoratif. D'’intéressants essais dans ce genre restent cependant de eette époque et on en cite une, comme particulièrement remarquable: la fameuse tapisse rie de Bayeux, grande broderie à l'aiguille sur toile représentant « l’in vasion des Normands en Angleterre ». Le luxe plus lourd du dix-septième siècle multiplia les fortes broderies en relief sur les costumes comme sur les meubles. Avec le dix huitième siècle, on entre dans une période plus légère et plus gracieuse et d’une excellente technique, imitée des modèles chinois. Pendant la période révolutionnaire, la broderie subit un temps d'arrêt; elle vit même, pendant cette période troublée, une partie de ses plus beaux spécimens détruits ou dépareillés. Nouveau recul pendant la période napoléonienne et il faut arriver à la seconde moitié du siècle dernier qui voit se développer le travail à la machine, permettant une production plus grande, pour en arriver à un renouveau sérieux de cette industrie.
Le textile dans le Cambrésis
Le décret du 7 mai 1810, émis par Napoléon Bonaparte, concerne le développement de l'industrie du lin en France. Il vise à encourager la production de lin et à établir des manufactures dédiées à sa transformation.
Le texte stipule des mesures pour favoriser la culture du lin, la création d'écoles et de centres de formation pour former des ouvriers spécialisés, ainsi que des incitations financières pour les entrepreneurs qui investissent dans ce secteur. L'objectif était de réduire la dépendance de la France vis-à-vis des importations de textile, tout en stimulant l'économie locale et en créant des emplois.
En résumé, ce décret reflète les ambitions de Napoléon de renforcer l'autosuffisance économique et de promouvoir les industries nationales.
Sculture en bronze de Napoléon avec à ses pieds deux phylactères. Ils portent des inscriptions relatives à des décrets impériaux permettant le développement de la culture de la betterave sucrière et de la filature mécanique du lin. (Musée des beaux arts de Lille)
Gros plan des phylactères.
Au XVIIIe siècle à Villers, on trouve bon nombre de personnes exerçant la profession de mulquinier (rien que sur mon arbre généalogique, j'en compte une centaine habitant Villers). Le mulquinier est l’ouvrier qui tisse les batistes, étoffes de toile fine de lin utilisées pour l’habillement. L'épouse du mulquinier est souvent fileuse.
Les batistes sont fabriquées essentiellement dans le Cambrésis. Le lin est sans doute cultivé dans le Cambrésis.
Champ de lin
Fleurs de lin
L’appellation "mulquinier" est dérivée du vieux mot molaquin ou mollequin qui est une étoffe de toile fine que nos ancêtres utilisaient pour leur habillement. Souvent, le mulquinier achète directement le fil aux fileuses des villages (ou faisait faire le fil par son épouse) et travaille dans sa cave. On donne le nom de batiste à ces toiles fines de lin. Toutefois, les mulquiniers et les tisseurs n’utilisent jamais ce mot pour désigner leurs fabrications, mais les appellent des toilettes ou linons.
Le métier de mulquinier est souvent une seconde occupation. En effet lors de la belle saison les gens travaillaient aux champs. L'hiver venu, ceux-ci descendent dans leurs caves où est installé le métier à tisser ou « étile ».
Ces artisans ruraux passent entre 10 à 14 heures par jour à pousser la navette de leur outil de travail.
C'est dans le tissage que les habitants ont trouvé non seulement une occupation secondaire, lorsque les travaux des champs ne les retiennent pas, mais aussi et surtout une profession lucrative, plus rémunératrice certes et moins dure que la culture des champs.
Le fil de mulquinerie est un fil de plus ou moins grande finesse qui n'est employé qu'à la fabrication des toilettes et de la dentelle. Le fil de lin avant d'être travaillé, est peigné à la brosse de soie de sanglier par la fileuse afin d'en retirer l'étoupe. Ce déchet, l'étoupe, est filé plus gros et sert à la confection de toile de ménage ou linge de table. Il est facile de comprendre que plus le fil est fin au départ, plus il donne de longueur à l'arrivée, ce qui augmente la plus valu.
Fileuse avec son rouet
La filature : on utilise pour cela les rouets ou moulins. Le fil est ensuite ourdi pour pouvoir être vendu. La chaîne ourdie est confiée au mulquinier. L'ouvrier pour façonner sa toile utilise l'otil, métier composé de quatre pieds, reliés par des traverses. Le tisserand peut ainsi produire dix à douze mètres de tissus sur sa journée. Les toiles achevées sont ensuite portées au blanchisseur.
Les tisseurs de Villers s'appliquent à la confection des linons, des tissus divers, des jacquarts, des plissés, etc... en un mot de ce que l'on appelle les articles de St-Quentin et même de Roubaix, sans parler des broderies sur tulle et des articles écaillés dans lesquels excellent les ouvrières de Villers-Outréaux.
un mouchoir de batiste
Le succès des toiles du Cambrésis, tant en France qu’à l’étranger (Italie, Espagne et d’autres pays plus éloignés), a incité d’autres villes (Valenciennes, Douai, Péronne, Saint-Quentin, Bapaume...) à se lancer dans la fabrication de toiles, qu’elles vendent sous le nom de toiles de Cambrai. Sous le Premier Empire, 350 000 pièces de batiste sont ainsi fabriquées dans la région de Cambrai. Cette extension géographique de l’industrie du lin entraîne une baisse de la production dans le Cambrésis proprement dit. L’apparition de nouveaux tissus, comme les mousselines, concurrence également la batiste. Le perfectionnement de la filature de coton et l’apparition des machines, la crise de 1788-1789, contribuent à la diminution de sa fabrication et à partir de la Restauration, la production ne cessa de diminuer. En 1844, on n’en tisse plus que 90 000 pièces. C’est à la fin du XIXe siècle, que disparait complètement cette industrie. Source
A Villers, les mulquiniers sont devenus des tisseurs au XIXe siècle, puis brodeur au XXe siècle.
Jusqu'en 1892, la fabrication de la broderie mécanique était restée concentrée à Saint-Gall, en Suisse, dont les mousselines et broderies étaient déjà répandues dans le monde entier et à Plauen en Saxe. Cette dernière ville voyait, grâce à cette industrie, sa population passer de 8 000 habitants en 1872 à 120 000 en 1895.
Les premiers métiers mécaniques à broder en provenance de Saint-Gall sont installés à Saint-Quentin en 1868, et essaiment vers Beaurevoir, puis à Villers-Outréaux.
En 1888, Jean Baptiste Richez aurait été le premier villersois à installer un métier à bras dans notre village. Le fait a sans nul doute créé un événement à Villers où à cette époque les métiers à tisser sont encore nombreux.
Le métier à bras est un métier qui reproduit exactement le mouvement de la brodeuse à la main et qui permet de réaliser des fabrications très fines.
Achille Ducamp a été une des premières personnes qui a été apprendre en Suisse à broder au pantographe.
détails du métier à broder à pantographe
Ces métiers à bras sont remplacés par des métiers automatiques de type Jacquard dans les premières années du XXe siècle. Les premiers sont installés à Caudry en 1906 et à Villers-Outréaux en 1910. Les métiers dits "à fil continu" sont pourvus de navettes (une navette par aiguille). Au lieu de reprendre le principe de broderie à main, on adopte le principe de la machine à coudre, le fil étant maintenu par la navette.
Puis le mécanisme est entrainé par un moteur électrique d'une puissance d'un cheval.
Près de 100 % des métiers de notre village sont fournis par l'entreprise Saurer basée à Arbon en Suisse. La maison Saurer a été fondée en 1853 par Franz Saurer, elle a été tout d'abord une fonderie puis un atelier de construction mécanique. En 1920, près de 4 000 ouvriers y sont employés.
Cette introduction ne
s'est pas réalisée sans difficultés, à cause de la résistance du syndicat des
industriels allemands hostile à cette introduction et qui avait exercé une
forte pression sur les constructeurs de métiers pour obtenir d’eux le
refus des commandes venant de France. La venue d’un ingénieur allemand à Calais et qui était entré en pourparlers avec des industriels
français pour l'installation d’une usine en vue de la construction de métiers à broder mit fin à l’obstruction allemande et à la difficulté
d'achat de matériel dans ce pays. Les industriels allemands, prévoyant
que si des usines de construction de matériel s’installaient en France, la
vente de ce matériel allait complètement leur échapper, consentirent à
satisfaire aux demandes faites par les installations de broderies françaises.
Le matériel ne suffisait pas, il fallait le faire produire. On fit alors appel à des spécialistes suisses et allemands. L’habilité reconnue des ouvriers français dans les travaux d'art eut vite résolu cette seconde difficulté et quelques années suffirent pour pouvoir se passer complètement de la main-d'œuvre étrangère.
Pendant la première guerre mondiale, bon nombre d'artisans eurent malheureusement
à subir les dévastations qui furent les conséquences de 52 mois d’occupation. L'ennemi ne se priva pas de transformer en mitraille la plupart
des métiers, envisageant, outre les résultats escomptés de la guerre, ceux
que pourrait avoir, après celle-ci, pour l’industrie similaire allemande,
l'arrêt momentané de la production française, conséquence du manque de
matériel et de la difficulté de son remplacement. Ceux qui ont vécu ces
jours sombres, ne se rappellent pas sans émotion ces destructions que l’on rendait visibles à la population par les tas de ferrailles
qu’on laissait accumulées, pendant un certain temps, avant l’enlèvement,
à la porte des maisons. C’était un moyen de démoralisation qui s’ajoutait
aux autres.
Après la première guerre mondiale, peu de métier restent sur pied, détruits. Il fallait donc en racheter mais avec des inovations. Les grands perfectionnements apportés au matériel et aussi les besoins créés par un retour à la vie et un arrêt de production de cinq années, assurèrent rapidement à cette industrie une prospérité inconnue avant la guerre.
Les transformations d’après guerre portèrent d’abord sur l'installation de métiers à grandes dimensions : 9" et 13"50 système Saurer qui, en même temps qu’ils fournissent un travail parfait, donnent un rendement de beaucoup supérieur à celui obtenu par les métiers de 4"50, puis de 6 et 7" utilisés avant la guerre. Le métier « Saurer » n'a permis, en plus, même temps qu'ils fournissent un travail parfait, donnent un rendement de beaucoup supérieur à celui des métiers de 4"50 puis de 6" et 7" utilisés avant la guerre. Le métier Saurer a permis en plus d'entreprendre, outre l’article genre Plauen (dentelles, guipures, tuiles brodés, soie et coton), la fabrication de tous les genres de broderies blanches : broderies sur tissus, souples ou serrés, sur guipure chimique, fantaisies diverses, destinées aussi bien à l’ameublement qu'au vêtement.
Un autre perfectionnement très important fut le remplacement du pantographe par l’automate qui facilite considérablement le travail du brodeur, car au lieu d’être obligé de suivre avec la pointe du pantographe, le dessin à reproduire, le déplacement du cadre devient automatique à l’aide du rouleau percé (système Jacquart).
Pendant de longues années, lors des 30 glorieuses, la broderie a fait vivre bon nombre de familles à Villers.
Etat de la broderie mécanique à Villers Outréaux en 2008.
Achille Ducamp sur un métier à bras et le dernier né des métiers des Ets Saurer :
130 ans d'évolution
La création d'une Maison de la Broderie est dans les idées depuis 1977, mais n'est inaugurée que le 17 octobre 1984 en présence du Ministre du commerce et de l'artisanat de l'époque. Conscient des problèmes de leur profession, les brodeurs veulent unir leurs efforts en vue d'assurer la cohésion d'une profession fort complexe qui regroupe artisans, industriels, chargeurs, fabriquant, façonniers etc... La construction de cette Maison de la Broderie a coûté 1 148 759 francs et a été subventionnée à hauteur de 70 %, le reste étant la participation communale.
Elle a maintenant pour vocation de faire découvrir aux visiteurs l'évolution de la broderie industrielle, activité phare de Villers-Outréaux. Visite libre et guidée en vidéo sur l'industrie de la broderie : explication du travail effectué sur différentes machines et métiers.
Pour en savoir plus sur la fabrication du macramé :
Visite impromptue à la maison de la broderie lors des journées du patrimoine de septembre 2018.
PENELOPE
En 1979, l'association des fêtes et loisirs, considérant que Villers est un centre de Broderies, sinon la Capitale, elle se devait de prendre comme symbole une brodeuse en la personne de Pénélope, personnage de l'antiquité comme géante et ambassadrice du village.
Pénélope, femme d'Ulysse et mère de Télémaque, oppose un refus à tous ceux qui demandent sa main en l'absence d'Ulysse (qui dura 20 ans). Appelant la ruse à son secours, elle promet de faire un choix lorsqu'une toile qu'elle brode serait terminée. Mais elle démonte la nuit tout le travail réalisé le jour.
Sources :
Recherches de Bernard Bancourt et Yvon Prez.
Livret de la fête des corporations, Le Cateau, 1926
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